« Thought of you as my mountain top, thought of you as my peak. Thought of you as everything, I've had but couldn't keep. »Flashback | 20 juin 1921 | Der Turm, Hambourg.
Il y a quelque chose de profondément abrutissant dans le vote. Hilda, tous les ans, regarde les petits sorciers allemands se précipiter vers le bureau de leur noble afin de donner une opinion qui, de toute manière, n’aura un impact. Tous les ans, elle participe aux élections, à sa manière. Il y a toujours un noble dans ses petits papiers, courant juin, et elle peut se mêler à la populace. Bien entendu, elle ne peut pas voter. Faire partie de cette foule, l’écouter et, surtout, profiter du raffut qu’elle provoque lui est bien utile. On apprend tant de choses, un 21 juin. Elle aime cette journée, avec un sourire mutin et des étincelles dans les yeux. Cette année, elle sera à Swinemünde, profitant du voyage pour passer un peu de temps à la plage. Elle a sorti Paul pour l’occasion. Elle a ses valises à faire. Il l’attend peut-être déjà. Le Majordome doit grommeler de son retard.
Et là voilà, à tout oublier, sur les genoux de son Landgraf. Le sien. Magnus Röhr, abominable créature prétentieuse, mégalomane, encore plus suffisante qu’elle-même. Elle adore cette façon qu’il a de se déplacer dans toute pièce comme si elle lui appartenait. Elle idolâtre ses mouvements vifs, la pesanteur qu’il donne aux choses, et pourtant l’étrange grâce qui le prend lorsque, d’un geste, il l’invite à venir. La facilité avec laquelle elle peut s’installer sur ses genoux. Le naturel avec lequel il la considère comme sienne et la pudeur qu’il prend pour lui faire comprendre la réciprocité. Elle aime les efforts qu’elle doit épuiser contre ses entêtements. Le voir craquer cependant. Toujours craquer. Et lorsqu’il devient à son tour hystérique de jalousie, il n’y a rien de plus satisfaisant.
Presque malgré elle, cependant, elle écoute tout ce qu’il dit. D’une oreille d’amante, de l’autre de l’Einsicht. Les ordres de son Premier résonnent dans ses oreilles, éternelle litanie qui l’empêche de se concentrer sur la voix de Magnus. Comme si elle avait besoin de quelqu’un pour lui dire d’espionner Magnus. (Il serait capable de la tromper, cet enfoiré.) Comme si c’était pour le Premier qu’elle avait glissé Petra dans la Tour elle-même.
Magnus lui cache quelque chose.
Une pute, un chiard, un coup d’État, elle n’en sait rien, il lui cache quelque chose. Est-ce de la paranoïa, un instinct qu’il faut écouter ou la dure réalité qu’un homme tel que lui a toujours quelque chose à cacher ? Il déteste Berlin. Il est épuisé des élections. Il ne lui en dit jamais plus. Lorsque Konrad et elle conversent, même de loin, de politique, tels sujets ne sont jamais abordés devant le Landgraf. Comme il le dit si bien : «
Excuse-moi, je ne devrais pas parler de politique. Tu te moques de ces incompétents, toi, n'est-ce pas ? » Elle sourit, en effet. Oui, elle s’en moque, dit son sourire. Elle préfère se lover contre lui, glisser ses mains sur son torse, dans son cou, embrasser une tempe. Elle se demande combien de secondes il tiendra encore avant de la jeter contre le bureau. Elle aime lui laisser cette initiative. Des semaines, qu’ils ne se sont pas vus. C’est délicieux, des semaines sans avoir à ployer devant cet homme. Elle s’aime, quand elle ne le voit pas. Elle se déteste, quand elle craque et se retrouve à sa porte comme un petit chiot abandonné. Elle est coupable, dès qu’elle voit Magnus. Alors elle compense.
Il faut bien compenser.
Noyer dans l’amour débordant qu’elle lui voue quelque chose comme une dévotion à l’Einsicht. Et ce jour-là, plus que tout autre jour, elle a besoin de se faire pardonner. Elle a craqué plus que d’habitude. Paul l’attend, se rappelle-t-elle distraitement. Il faut qu’elle justifie le caprice d’être venue le voir. Pas au Premier, ni à Hjørdis, mais à elle-même. Il y a des reflets dans le miroir qu’elle a du mal à affronter, sans cela.
C’est pour cela, pour cette unique raison, qu’elle brise une parcelle du personnage qu’elle offre à Magnus. Hilda qui n’aime pas la politique. Hilda qui ne s’intéresse pas à ce genre de choses. Hilda qui se moque des élections et qui est juste excitée par les hommes de pouvoir. Cette Hilda qu’elle rêve souvent, dénuée de tout besoin de vengeance. Celle qui n’aurait jamais été bafouée.
«
Tous des incompétents sauf toi, Darling. » commence-t-elle avec l’abominable impression d’y croire. Ses lèvres embrassent la main de l’homme venu caresser ses cheveux. «
Cela doit être fatiguant, de te dévouer à des ingrats pareil. » Et de se pencher, de caresser sa mâchoire de son nez, de murmurer à son oreille, le corps plaqué contre le sien, ivre de sentir enfin, de nouveau, sa chaleur. «
Tu sais, je me dis parfois que tu fais partie de ces agents secrets qui sont si à la mode dernièrement. » Elle a un petit rire, dissimule un tremblement bref, ivre de prononcer ces mots en sa présence, n’osant presque pas aller jusqu’au bout. Sauf que Hilda ose toujours. Et c’est toujours cela qui fait sa perte. «
Tu serais parfait, en agent de Heimdall. »