Kora, il l'a rencontrée la première fois y a quoi, trois ans ? Quatre ? Il sait plus trop. Axel et les chiffres ça a jamais vraiment été une grande histoire d'amour. Faut dire qu'on s'est pas donné la peine de lui apprendre beaucoup et qu'avec le temps il a un peu perdu tout ce qu'il savait sur le sujet, du coup ça n'aide pas. Puis il en a pas l'utilité. Le temps, de toute façon, c'est une vraie connerie qui n'est ni linéaire ni compréhensible par les hommes, alors quelle idée d'aller le quantifier. Il sait juste que Kora, il la connaît depuis un moment, et puis il l'aime bien. C'est un peu compliqué. Mais il l'aime bien. Même si Kora, elle est pas dans le bon camp. Même si Kora, elle est la seule qui sait un peu pour qui il joue, et que du coup il devrait sans doute la tuer. Si on demandait à Axel pour quelle obscure raison il se rend dans le camp ennemi – ou tout du moins chez une partisane du camp ennemi – au coucher du soleil un mardi particulièrement froid, il répondrait sans doute d'un haussement d'épaules. Se gratterait l'arrière du crâne d'un air embêté, froncerait le nez, puis hausserait les épaules à nouveau. Le prétexte, c'est son chien, Chien. Chien a mal à la patte. C'est le genre de choses qu'Axel saurait parfaitement régler tout seul, faut pas être sorcier (ha!) pour comprendre que le toutou s'est enfoncé un truc entre les coussinets et qu'il va falloir le déloger et désinfecter la plaie et la bander pour éviter qu'il refoute sa patoune sur une saloperie, mais... c'est un prétexte. Un prétexte un peu providentiel. Il pense à elle, souvent. Elle comprend bien les choses. Elle sait communiquer avec les animaux même quand ils ne parlent pas alors avec elle il a pas besoin de faire des efforts pour être compréhensible. Puis elle a l'air gentil quand elle est avec ses bêtes. Il aime bien les gens qui ont l'air gentil. Maman elle avait l'air comme ça au début, jusqu'à ce que tout change, et du coup ça lui fait un peu chaud au cœur de voir la mine de Kora quand elle est avec ses bestiaux. Même si elle pourrait le faire tuer. Même si elle a largement le pouvoir de le piéger. Même si elle est la seule à connaître un certain petit secret, raison pour laquelle elle devrait crever. Peut-être plus tard. Quand Chien ira mieux. Ça peut attendre, hein ? Anke lui en voudra pas.
Il fait presque noir déjà. Et il neige. Axel aime pas beaucoup la neige, aime pas beaucoup ce qui est froid et humide, à l'exception d'An... de personne. Chien frissonne et se colle contre lui, s'appuie contre la patte folle de son maître qui ne trouve pas en lui la cruauté de le faire dégager. Il a mal à la patte, lui aussi. Entre infirmes, on se soutient. Puis Chien a pas beaucoup plus apprécié le voyage en Portoloin artisanal – obtenu en l'échange d'une réparation pour un sorcier du bidonville – que son humain et ils sont tous les deux un peu plus branlants que d'habitude. Axel échange un regard avec Chien. Chien, qui n'a absolument pas l'air dupe de ses petites magouilles et le fixe d'un air de dire « personne ne croit une seconde que t'es là juste pour moi » et aussi « t'aurais pas un truc à bouffer patron ? » Axel se penche un peu pour gratouiller la tête du chien, qui émet le bizarre grondement-ronronnement qu'il pousse parfois. Il l'a jamais entendu aboyer. Chien, c'est pas un bruyant, pas un agressif, c'est un sournois qui se glisse dans les recoins et mord quand on attend plus aucune méchanceté de sa part. Ils se sont bien trouvés. Le vieux bestiau utilise même à outrance son aspect un peu fébrile et maladif pour se faire plaindre et obtenir tout ce qu'il veut d'autrui, quand c'est nécessaire. Le Mécaniste aime décidément beaucoup cette vieille carne. Les vitres de la maison berlinoise de Kora sont toutes embuées, il doit y coller le nez pour voir quelque chose. Elle a pas l'air d'être dans son salon. Est-ce qu'il l'a manquée ? Elle vit à Hambourg maintenant, il paraît. Sans doute que ça a à voir avec son boulot pour Heimdall. Cette pensée fait grincer des dents à Axel. Ça le ronge de savoir qu'une personne qu'il respecte bosse pour ces abrutis. Pourquoi diable ? Peut-être qu'il pourra lui faire changer d'avis, un jour. Ce serait bien. Il l'a pas revue depuis qu'elle l'a découvert en train de fouiner dans ses affaires pour le compte d'Anke. Ça s'est pas très bien passé, ce jour-là. Mais il arrête pas de penser à elle, à elle avec ses bêtes surtout, à son amitié et son respect pour ces créatures si différentes d'elle. Ça lui a plu, à Axel, de voir quelqu'un se comporter aussi tendrement avec des êtres sans aucun point commun avec elle. Il s'est dit que peut-être elle pourrait aussi l'accepter, lui, le monstre parmi les monstres. Il a aimé rester avec elle le temps qu'elle soigne Chien. Il aurait aimé que les choses finissent différemment. Alors, incapable de résister à ses pulsions, le voilà qui se traîne vers la porte et gratte le battant, en espérant trouver la maîtresse des lieux chez elle.
Kora SchäferHeimdall
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La tranquillité lui brouille l'esprit. Seuls quelques rugissements viennent troubler le sommeil de la maison. Le souffle ardent de la cheminée lui intime un calme sempiternel. A croire que quelques flammes peuvent ranimer l'âme des plus sombres esprits. La vie à Hambourg est un fleuve tumultueux. Elle ne peut le nier. Autrefois, destin tout tracé, aujourd'hui avenir incertain. Incompréhensions, parfois, des tumeurs qui la poussent à combattre. « Happy ? » L'halètement lui arrache un sourire. Happy a toujours fait partie de la famille. Père a fait le voyage jusqu'en Pologne pour aller le chercher. Il en valait la peine. Happy n'est pas un chien comme les autres. Croup dans les veines, il est une créature que la grande majorité des gens ne connaissent pas. Pas même les Sorciers du coin, peu habitués à surprendre par la présence d'une unicité si particulière. Seule différence avec un chien ordinaire, sa deuxième queue, et peut-être son caractère un peu plus difficile. Happy a cependant toujours montré une docilité certaine. A croire qu'il avait bel et bien conscience de l'amour que leur portait ses maîtres. « Viens, cher Happy. » Le Croup s'émoustille, témoignant de son excitation par une danse frénétique. Kora se penche, caresse sa petite frimousse. Elle l'aime, démesurément, comme toutes les créatures qui ornent désormais l'Elevage, et par procuration, son existence. Celles-là qu'elle a vu naître, pour la grande majorité, et qu'elle a caressé depuis la sortie de l'oeuf. Celles-là qu'elle a aimé depuis sa plus tendre enfance, et qu'elle a regardé grandir un peu en même temps qu'elle. Un souffle froid provient de l'extérieur, arpentant les tuyaux étroits de la cheminée. Rappel glacial d'une réalité qui l'attend au-delà des murs. Elle a envie de s'enfuir, depuis des années déjà. Partir, loin avec Mira. Mais le combat mené ici n'a pas de frontière. Alors Kora essuie les sortilèges douloureux, caresse la flamme de son destin insidieux. Il n'y aura pas de place pour elle au Paradis.
Lorsqu'on frappe contre le panneau de bois qui lui sert d'entrée, la Dame fronce les sourcils. Esprit dérangé par toute visite inopportune qui pourrait s'avérer toujours plus dangereuse. Réflexions multiples qui se figent dans sa tête. Questions en nombre qui s'installent dans la chair. « Mira, c'est toi ? » Seule la nuit noire et le sifflement léger du vent semblent vouloir lui répondre. Et c'est un cran, encore, que monte son angoisse. Sa fille est partie plus tôt dans la soirée, profitant de la présence de sa mère pour quitter le cocon et vivre un peu sa vie de femme. Et ce simple « toc toc » sur la porte intime qu'elle a bien fait d'être absente ce soir. Happy se tourne vers la porte, gronde en sourdine. Il ose même approcher, en tout courageux qu'il est. La méfiance grandit si rapidement que Kora hésite à aller ouvrir. Elle se demande quels tumultes s'abattront encore sur elle. Mais elle n'a guère le temps de réfléchir. Alors, c'est avec une main sur le manche de sa baguette qu'elle s'avance et qu'elle ouvre la porte. Tandis que ses muscles agrippent les os.
Tandis que son coeur implose. Le visage qui lui est révélé lui fait l'effet d'un poignard planté en plein épiderme. Souvenirs déliquescents d'une trahison récente. Le Mécaniste. Démon angélique qui surplombe la plaine. L'âme est belle, pourtant, elle ne comprend pas. Elle aimerait trouver des réponses qui n'existent pas. Refléter des songes qui ne viennent pas. Eaux houleuses qu'elle a trop longtemps laisser miroiter. Le choc lui brutalise le myocarde. Il est certain que son visage témoigne de sa profonde colère. Celle qu'elle a pourtant cru finalisée. Celle qui, pourtant, revient la vandaliser. Elle jauge le garçon, tandis que Happy jauge Chien. Comme deux vieux copains. Mais Kora et le Mécanistel, eux, ne le sont plus. L'ont-ils seulement été, finalement ? Chimères intérieures qui prouvent pourtant l'odieuse réalité. Figée, gelée, immobilisée qu'elle est. La bouche s'arque, cherche l'oxygène tant réclamé. Les poumons s'excitent, tendent à vouloir pousser un cri. Mais il n'est rien qui n'émerge. Il n'y a rien. Que le béant vide que le Mécaniste a créé lorsqu'elle l'a contemplé lors de leur dernière rencontre. « Mécaniste. » Ce n'est qu'un murmure. Une expiration emportée par le vent. Une révélation qu'elle s'offre à elle-même. « Tu as oublié quelque chose, peut-être ? » qu'elle jette, tandis que la peine s'éveille. Vrille ténébreuse lui arrachant l'épiderme vasculaire. « Ou est-ce ta Maîtresse qui t'envoie pour finir le travail ? » elle assène, encore. Anke est une ombre qu'elle ne peut annihiler. Là, dans la neige, elle l'entrevoit. Toujours ici, toujours là-bas. Jamais vraiment partie, finalement. « Que veux-tu ? »
Axel HirschfeldEinsicht
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Elle appelle après Mira et Axel sourit pour lui-même. La gamine n'est pas là. Ce sera juste lui et Kora. Pas de raison que ça se passe mal, hein ? Après tout, ils sont juste deux vieux copains se retrouvant sous le prétexte tout à fait innocent de soigner Chien. Pauvre Chien. Il lève ses grands yeux à demi voilés de cataracte sur son humain, l'air de se demander dans quelle connerie il se retrouve encore entraîné. Pourtant, Axel s'occupe bien de lui, mieux qu'il ne s'occupe de lui-même, et c'est tout ce que Chien peut demander. Depuis que cette petite chose malingre et difforme l'a sauvé de la mort, il a dévoué sa loyauté tout entière à ce maître imprévisible, à cet homme qu'il ne comprend pas mais qu'il aime de toute son âme. Pour une caresse d'Axel, Chien donnerait le monde et la lune ; pour un regard aimant, il s'éventrerait lui-même. Mais Axel ne lui demande pas, ne lui demande jamais. Axel ne demande rien. C'est pour ça qu'il l'aime bien, Chien, son humain tout de bric et de broc. Il aime bien la douceur de ses gestes et la façon toute tranquille qu'il a de le gratouiller derrière les oreilles dès qu'il a une main libre. Il aime moins se faire embarquer dans les magouilles de son humain mais c'est le prix à payer pour avoir cette vie de pacha qu'il mène, alors il le paye sans tergiverser. Et puis, on va voir Kora, et Kora elle est gentille. Chien aime bien Kora. Il lui a même léché la main, une fois, lui qui n'approche que très rarement d'autres humains que le sien. Elle a le geste paisible et précis et elle lui a jamais fait mal. Elle sent bon. Elle sent la paix et la chaleur d'un foyer, celui pour lequel il s'est démené pendant tant d'années avant de finir à la rue, mort de faim et traité comme une vieille carne plus bonne à rien par tous les passants. Tous, sauf Axel. Et puis Kora. Alors Chien frétille et remue la queue, langue pendante d'excitation, lorsque l'élégante silhouette de l'amie des animaux apparaît dans l'encadrement de la porte. Puisqu'il n'est pas tenu aux même standards de politesse et d'étiquette que ses compagnons bipèdes, Chien claudique jusqu'à l'intérieur de la maison pour aller renifler le derrière de Happy en guise de salutation avant de se presser de tout son large poids contre le vieux copain en grognant de plaisir. Axel, lui, reste silencieux.
Les accusations de Kora le laissent de marbre. Elle connaît le secret. Le secret que personne doit connaître, c'est Anke qui l'a dit. Il est l'atout dans la manche de la Cardinale, le dernier rempart entre elle et la damnation, et c'est sa plus grande fierté. Chien donnerait sa vie pour celle d'Axel, lui offrirait la sienne pour Anke. Au final, ils sont très semblables, le bâtard grisonnant qui roule sur le dos pour montrer son ventre à Happy et son humain tout tordu qui s'agenouillerait volontiers aux pieds de la dame en noir, s'il le pouvait. Si ses jambes le lui permettaient. Loyal comme un chien, peut-être au moins aussi naïf et stupide quant à ses allégeances. Un long silence passe et un flocon de neige atterrit sur le nez du Mécaniste. Enfin son expression change, son visage se plisse et il chasse l'intrus d'un revers de la main. Secoue la tête. Pas d'Anke. Pas aujourd'hui. Il se croit encore une personne indépendante, un être à part entière et non une extension de l'âme terrible à laquelle il a voué la sienne. Parfois, mais seulement parfois, il a des doutes. Se demande pourquoi Anke lui a ordonné de s'attaquer à Kora. Elle est l'ennemie, ça il a bien compris, elle travaille pour ceux qui essayent de détrôner l'Einsicht et pour cela, elle doit être arrêtée. Punie. Ça, Axel comprend. Il sait comment dresser un chien récalcitrant. Sauf que Kora elle est aussi son amie, elle est beaucoup de choses, et il n'a pas envie de lui faire du mal. Il n'a pas envie de la perdre. Pourquoi elle ne comprend pas ? Pourquoi elle travaille avec ces gens, ces gens si absurdes qui veulent arrêter une machine déjà bien lancée qui devra de toute façon suivre sa course ? Plus que n'importe qui, le Mécaniste sait qu'un simple grain de sable peut perturber tout un engrenage et détruire l'agencement le plus méticuleux qui soit. Heimdall pourrait bien être ce grain de sable. Mais il sait aussi qu'un mécanisme n'explose jamais sans bruit ni dégâts et que de ce conflit ne naîtront que des horreurs plus grandes encore. Alors pourquoi ? Pourquoi ne pas les laisser travailler au plus grand bien ?
Le Mécaniste se reprend et désigne Chien, sa patte folle qui touche rarement le sol et y laisse quelques traces de sang à chaque fois. Il sait bien que Kora, elle sera pas dupe. Elle sait qu'il connaît les animaux, qu'il aurait pu s'en occuper lui-même de cette pauvre patoune amochée par la dure vie des bidonvilles. Mais il espère qu'elle saura aussi reconnaître un mauvais prétexte pour simplement, peut-être, passer un peu de temps dans la chaleur d'une vraie maison en compagnie d'une vraie amie. Il n'entre pas, ne bouge pas. Pas sans invitation. Maman lui a appris à être poli, avant de lui apprendre à être amer. On n'entre pas chez une dame sans être invité. Surtout pas quand cette dame pense qu'on va essayer de la tuer. Il devrait, peut-être, sauf qu'il sait bien ne pas en avoir le pouvoir. Lui, il répare des trucs, il les détruit pas. Ça a jamais été dans sa nature et il nourrit aucune haine à l'égard de sa vieille amie, à l'égard de quiconque, en fait. Y a peut-être bien son père qu'il déteste un peu d'avoir abandonné sa famille sans laisser de traces, oui. Les non-magiques qui sont à la fois comme lui et si différents. Mais il ne leur veut pas de mal, il ne veut de mal à personne, pas vraiment. Il veut juste qu'ils comprennent, tous, qu'ils comprennent et qu'ils acceptent. Chien claudique jusqu'à son maître, retourne se lover contre les jambes malades et appuyer son énorme corps contre celui, beaucoup plus fragile, qui peut à peine le soutenir. Axel tient bon. Tiendra toujours bon pour le chien. Il fait une belle comédie, le corniaud, à lever sa patte – il hésite un instant, pas tout à fait sûr de laquelle est blessée – et à donner à Kora de ces grands yeux pleins d'amour et d'espoir et de souffrance que seuls les chiens savent faire. Le voilà même qui essaye d'imiter les grondements de son estomac quand il a très faim, alors même que son humain lui a donné un gros repas délicieux juste avant de partir. Il a de la chance, Chien, parce que c'est l'estomac d'Axel qui gronde au même moment ; qui gronde et trahit le fait que le Mécaniste préfère nourrir son compagnon que lui-même. Chien et humain fixent Kora, l'un implorant, l'autre impassible, tous deux avec la même question dans le regard. On fait une trève ?
Kora SchäferHeimdall
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L'amertume est installée dans l'âme. Et pourtant l'homme fracassé lui offre bien plus de sentiment que celui de la trahison. Etrange, comme l'Humanité peut contrarier. Car elle est contrariée, Kora. Contrariée par l'émulsion de ses propres émotions. Elle aimerait que cela soit plus simple. Qu'elle puisse le repousser sans craindre le regret. Sans craindre le remord. Pourtant, l'un et l'autre sont bien ancrés dans le carcan. Ils sont bien là, nichés entre les ventricules, menaçant de l'implosion. Le Mécaniste est une figure emblématique passée. Un peu d'amitié, un peu de traîtrise. Le visage d'Anke au-dessus de la tête. Elle se demande, un moment, si le laisser entrer est une idée des plus sages. Sa raison lui hurle bien évidemment le contraire. Son myocarde, faible myocarde, semble ignorer le reste. Les synapses ont beau hurler le danger, Kora est incapable de les prendre en compte. Parce que le Mécaniste n'est pas n'importe qui. Au début, elle n'y avait pas vraiment prêté attention. La compassion avait été plus forte pour Chien. Jusqu'à ce qu'elle comprenne comment il vivait. Comment Chien vivait. Comment le Mécaniste survivait. Comme deux éléments symbiotiques. Elle avait observé le maître câliné le chien, tandis qu'elle le soignait. Comment, sans un mot, ils pouvaient communiquer. Par quelques regards tacites, converger vers la même idée. Par quelques gestes implicites, confluer vers la même pensée. Ils ne faisaient qu'un. Rare relation, dans ce monde où l'on tente d'aimer n'importe qui sans savoir comment.
Lorsqu'elle contemple Chien, Kora comprend. Et en même temps ne comprend pas. Piètre excuse qu'elle reçoit comme une gifle. Elle n'est pas dupe. Elle sait que tout ceci n'est que prétexte. Elle pourrait refermer la porte. Le laisser sous la neige, dans le froid, sans un mot. Parce que la colère lui dicte ce pas. La colère, elle est là, enlaçant l'amertume, comme deux vieilles amies inséparables. Et la colère, elle lui ronge l'échine. Somptueuse rage qui lui tend les muscles. Bien sûr, qu'elle est en colère. Il y a milles raisons qui la pousse à cette conclusion. Elle avait confiance. Elle lui a ouvert sa porte. Elle lui a même ouvert son coeur, quelques fois. Elle se souvient d'un soir, plus froid que les autres, où ils avaient partagé quelques secrets au coin du feu. Là, juste derrière elle, une tasse de thé pour se réchauffer les mains, un rire ou deux pour se réchauffer le coeur. Elle a peut-être un jour pensé qu'il était comme un fils. Etrange, hein ? Elle n'a jamais eu de fils. Ou du moins a-t-elle cru pouvoir en avoir un. Un comme lui, qui lui ressemble sans vraiment lui ressembler. Mais elle n'en aura jamais. Il a tout cassé, le Mécaniste. Il a pris les rouages qui construisaient leur relation, et il est parti les remettre à Anke. Elle se sent trahie, Kora. Pire encore, meurtrie. Meurtrie par celui qu'elle aurait même engagé quotidiennement ici. Meurtrie par celui qu'elle aurait accueilli entre ces murs définitivement. Elle avait même prévu un lit, pour lui. Et un panier, pour Chien. Elle en avait même parlé à sa fille. Elle avait même prévu de lui en parler, bientôt. Mais il a tout cassé, le Mécaniste. Il a gangréné le mécanisme.
Et avec toute l'acrimonie, et avec toute la furie, Kora sent son coeur se presser. Des frasques d'iode lui décimer les pupilles. « Je vais te faire entrer. » qu'elle annonce. Le masque tente de tomber pour laisser libre court à ses impulsions. Mais elle ne veut pas l'ôter, ce masque. Elle ne veut pas se dévoiler. Elle n'est même pas sûre qu'il le mérite. « Je vais soigner Chien, et ensuite tu repartiras. » C'est ce qu'elle prévoit. Pourtant elle sait que cela ne se passera pas comme ça. Rien ne se passe jamais comme elle le désire. Rien ne se passe jamais comme il faut, de toute façon. « Ce sera la dernière fois. » elle demande, implicitement. « Pour ma sécurité. Et pour la tienne. » Elle se retourne, laisse la porte entrebâillée. Happy suit le pas, frétillant, heureux. A la vue du Mécaniste, Geist n'hérisse légèrement. Il ne crache pas. De quoi rassurer, légèrement seulement, sa maîtresse. « Il ne restera pas longtemps. » souligne-t-elle, tandis que Nacht rejoint son semblable pour lui offrir une accolade amicale. Kora se retourne finalement vers l'animal blessé, lui offre un léger sourire. Il est bien le seul qui, entre les deux arrivants, ne lui fera certainement jamais de mal. Alors elle s'agenouille devant lui, l'accueillant comme un vieil ami. « Où as-tu laissé ta patte, cette fois-ci, hm ? Tu es incorrigible. » Elle sourit, bienveillante. Et lorsque son regard croise celui de son maître, le sourire s'évapore. « Vas me chercher des bandages. Tu sais où ils sont. Ne touche à rien d'autre. » Elle lance un regard à Geist. « Geist, accompagne-le. » Alors le Fléreur s'étire de tout son long, et descend de l'étagère pour mieux rejoindre l'envahisseur. « Ne le contrarie pas. » conseille-t-elle, alors qu'elle s'épanche vers la blessure de Chien.
Axel HirschfeldEinsicht
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Il a jamais été très bon pour déchiffrer les expressions des gens. Même celles de Kora. Elle le regarde et il sait qu'elle est en colère, qu'elle est blessée, qu'elle est meurtrie, sans parvenir à lire vraiment son visage, comprenant seulement le grondement silencieux au fond d'elle. C'est bien tout ce qu'il comprend. La trahison, pour lui, ça n'existe pas vraiment. Quand on vit au jour le jour dans des lieux peu recommandables, on ne s'attache pas, on ne fait pas confiance. Croire être en sécurité c'est signer son propre arrêt de mort. Il dirige parce que c'est la seule façon de survivre, au moins un temps, jusqu'au prochain défi. Jusqu'à la prochaine tête qui viendra se pavaner dans le bidonville pour en prendre le contrôle et qu'il faudra tuer avant d'être tué. Mais c'est pas pareil, avec Kora. Ça a jamais été comme ça. Elle l'a aidé, elle s'est confiée à lui, à son silence impénétrable et à ses gestes en cliquetis d'horloge. Lui n'a jamais rien dit. Et pourtant, des fois, il a été tenté. Il a eu envie de lui raconter, de lui expliquer, de lui dire que tout ça c'est juste une atroce mascarade et une danse des morts qui ne peut mener qu'à la destruction, qu'il a toujours été seul et le sera toujours et qu'il aime bien partager ces moments au coin du feu avec elle parce qu'ils font un peu illusion. Lui dire aussi, lui dire Maman et sa mine toute pleine de honte, sa terreur primaire de lui et de tout ce qu'il représente, lui dire qu'elle est un peu ce que Maman aurait pu être si le monde était un peu plus gentil. Mais bien sûr, Axel ne parle pas, n'a pas parlé depuis vingt ans. Il ne commencera pas aujourd'hui. C'est sans un mot et sans un sourire qu'il se glisse dans la maison de Kora, le corps grinçant et le cœur battant, traînant sa carcasse difforme dans cet antre de normalité. Il ignore bien sûr qu'elle était prête à lui offrir une maison, une vraie maison – il aurait refusé. Parce qu'un homme comme lui ne peut pas rester très longtemps au même endroit, que ses jambes le démangent de parcourir le monde alors qu'elles peuvent à peine le mener de sa paillasse à son pot de chambre, parce qu'il ne peut plus être enfermé. Après le poumon de fer, la maison de Kora paraît bien vaste ; pas assez. Et puis qu'est-ce qu'il ferait ici, hein ? Elle accueille toutes les bêtes même les plus immondes mais elle reste somme toute normale. Normale, dans sa grande maison avec ses compagnons animaux et sa fille, avec sa vie de personne équilibrée. Que ferait-elle d'un monstre ? En vérité, ça vaut peut-être mieux qu'elle n'ait jamais eu l'occasion de lui proposer. Mieux qu'il ne sache pas ce qui aurait pu être et n'a jamais été, qu'il n'ait jamais eu cette impression de devenir sa bête de foire à domicile. Peut-être que, pour la première fois de sa vie, Axel aurait vraiment haï.
Chien est tout frétillant, il en oublie qu'il a mal à la patte. Le reniflement de derrières se poursuit avec Geist et Nacht et le voilà qui vient mordiller gentiment, pour jouer, et donner des coups de patte – la mauvaise, parfois, ce qu'il regrette immédiatement, mais il a envie de jouer avec ses amis. Il ne joue pas souvent avec les autres au bidonville, Chien, parce que les autres ont peur de lui. Le traitent comme un dominant à qui on doit le respect alors que lui, tout ce qu'il veut, c'est jouer. Il se fatigue vite maintenant, pauvre vieux à l'échine usée, il dort plus que de raison et parfois ses reins le font trop souffrir pour même songer à courir avec les autres, mais il aimerait bien partager un peu de leurs jeux et de leurs rires canins. Un peu plus, un peu plus souvent. Alors se retrouver avec ses trois vieux amis, c'est un peu comme le paradis. Il regarde un instant son humain, sa silhouette décharnée et noueuse qui opine du chef à la demande de Kora et disparaît le temps d'aller chercher les bandages. Chien le connaît, son humain. Sait qu'il sera tenté de fouiner, parce que la grande dame en noir lui a demandé, et qu'il ne le fera pas, parce qu'elle n'est pas là. Qu'il garde encore quelques recoins de son cœur pour lui tout seul. Chien n'aime pas trop ça. N'aime pas savoir qu'il y a là dans la poitrine de son humain quelques zones d'ombre dans lesquelles il ne sera jamais admis. Pas lui, pas la dame en noir, même pas la gentille dame qui prend sa grosse patte blessée entre les siennes si douces et lui fait d'aimables remontrances. Il geint un peu, pour la forme, lui fait ses grands yeux si pleins de désespoir. C'est juste un bris de verre entre les coussinets, ça arrive souvent. Il sait pas trop pourquoi Axel l'a emmené chez Kora pour si peu et en même temps, il le sait pertinemment. Chien a eu envie de jouer avec ses copains Fléreurs, sa petite meute à lui ; Axel a voulu en faire autant avec la sienne. Elle est si petite, la meute de son humain, si petite qu'on pourrait presque oublier que deux ça fait déjà un groupe.
Axel trouve les bandages presque tout de suite. Rien n'a changé. Tout a changé. Il reste un instant appuyé sur la commode, le souffle lourd et le cœur plus pesant encore, les yeux clos. Geist l'observe, il sait bien. Il fait rien de mal. Y a les jambes, bien sûr, les jambes qui n'ont jamais cessé de souffrir depuis vingt ans, les jambes traîtresses qui menacent de se dérober sous lui à la moindre occasion. D'habitude, il se déplace dans sa chaise roulante qu'il a fabriquée de bric et de broc, mais ça marchait pas bien avec le Portoloin. Il a même pas pris sa canne. Un moment de fierté, sans doute, un besoin de montrer à Kora qu'il est encore fort et vaillant malgré tout ce qui a pu se passer. Regarde-moi, comme je me tiens droit devant toi, le menton dressé et le regard dévoilé, regarde comme je tiens sur mes jambes alors qu'on a voulu mille fois me faire tomber. C'était bête. Il sourit, Axel, il sourit de ce sourire qui a serré l'estomac de plus d'un homme fort et brave, il sourit à la douleur qui le consume. Plus facile de se sentir vivant quand on souffre. Parfois il préférerait être mort. Mais Kora est dans la pièce à côté, Kora s'occupe de Chien et de sa pauvre patoune blessée. Quand Chien ira mieux, lui aussi souffrira moins, peut-être. C'est toujours un peu comme ça. Comme s'il ressentait les petits maux du corps de son vieux compagnon, ou l'inverse. Ils mourront peut-être ensemble un jour et le passage des ans effacera la peau et le muscle pour ne laisser que des os entremêlés. Où s'arrête le chien et où commence l'homme, personne ne le saura, et ce sera pour le mieux.
Chien jappe doucement quand son humain revient, le bandage à la main. Il voit bien les jambes qui tremblent et la mâchoire crispée de douleur. Ça a une odeur désagréable, la douleur. Ça sent âcre et ça prend à la gorge, ça lui mouille les yeux et ça le fait régurgiter ses repas, mais il s'est habitué. Axel sent toujours un peu comme ça. Il finit par trouver l'odeur réconfortante, Chien. C'est l'odeur d'Axel, celle contre laquelle il s'endort tous les soirs, lové contre la poitrine concave de son autre moitié. Dans les pires jours, l'odeur semblable à celle de l'acétone se pare de nuances de brûlé, de feu d'huile, de ceux qu'on ne sait pas éteindre. Une pointe d'acide au fond de la gorge, qui pique, qui se plante comme un minuscule poignard juste au niveau du palais, à quelques pouces de la glotte. Ces jours-là, Chien lèche doucement les mains de son humain, reste tout près de lui, lui donne un peu de sa chaleur. Sans rien pouvoir faire d'autre. Il fixe Axel qui ne s'assied pas, ne montre aucun désir de le faire, malgré l'odeur de feu qui commence à émaner de lui. Il tend les bandages à Kora et s'écarte un peu, laisse à la magicienne l'espace nécessaire pour élaborer sa médecine, et son regard se perd dans la normalité indécente qui l'entoure. Il sait pas où se mettre. Sait pas quoi faire. Voudrait, sans doute, s'asseoir auprès de son chien et lui gratter cet endroit juste derrière les oreilles qui le rend toujours si heureux. Sourire à Kora, s'enquérir en silence de comment vont ses bêtes. Il ne le fait pas. Chien aimerait bien le faire pour lui. Il n'en possède pas le pouvoir – il se contente de pousser Kora du bout du nez, cherchant à lécher la main qui le soigne, à exprimer l'affection que son humain ne sait plus prononcer.
Kora SchäferHeimdall
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L'absence semble longue. Le temps se dilue sur le papier de la réalité. Si Chien est un individu qui parvient à attirer toutes les attentions, il est clair que Kora, bien qu'entrain d'observer sa blessure, est dans un profond sentiment de lointain. Là-bas, trop loin peut-être, où ses pensées ne paraissent plus être. Elle est là où le vide avale son âme. Là où elle ignore quoi regarder, quoi sentir. Il y a des frasques de ce vide, chez le Mécaniste. Lorsqu'elle l'observe, elle voit son reflet sans yeux. Elle est aveugle, face à lui. Les paupières sont closes et les cils emmêlés entre eux. Elle est perdue, complètement isolée. Elle ne sait quoi faire, quoi penser. Il y a un peu d'elle, chez lui, elle le sent. Une empreinte similaire, un vide amer qu'il cache, des secrets enterrés dans l'âme. Elle aimerait l'extirper de ce néant, comme elle aimerait qu'on l'extirpe du sien. Mais l'entraide semble impossible. Il l'a enraillée. Elle aussi, certainement. Ils sont semblables mais différents. Deux extrêmes trop proches. Deux pareils trop loin. Ils gravitent dans des sphères qui chahutent mais ne se rencontrent jamais vraiment. Elle aimerait, pourtant. Mais elle ne peut abandonner les siens, comme il ne peut abandonner les siens. A croire que le destin voulut, là encore, la plier devant l'Einsicht. A croire qu'à tout jamais, elle devra abandonner ceux qu'elle aime de l'autre côté. Et se lever contre eux, un jour.
Un instant, elle imagine ce moment où ils en viendront à se battre. Elle sait qu'il arrivera tôt ou tard. Les démons l'enlacent, à cette idée. Car il est certain qu'ils en viendront à s'enterrer l'un l'autre. Comme elle devra enterrer Anke, Hildä et Maja. Comme elles l'enterreront, en retour. Les tombes seront voisines, mais se tourneront le dos. Les épitaphes crieront leur haine, mais jamais leur profonde affection. Elle les aime, elle les déteste. Elle l'aime, elle le déteste. Dans son Humanité propre, elle l'adore. Dans sa Non-humanité commune, elle le déteste. Qu'ont-ils donc bien fait de lui ? Comment a-t-il pu se laisser berner ? Elle voit leur naïveté, à tous, au bord de leurs essences. Elle aimerait pouvoir les raisonner, mais faute de mots adéquats, elle n'y parvient jamais. A quoi bon continuer, alors ? A quoi bon se battre si l'on doit exécuter ceux que l'on aime ? Elle ne sait pas. Personne ne semble le savoir. Une guerre tacite qu'elle n'a pas le don de maîtriser. Et les chimères de son myocarde pullulent un peu plus chaque jour. Anke aurait-elle raison ? Tous auraient-ils raison ? Ils sont tous à l'opposé, et lui tendent les bras. Il n'y a qu'une centaine de mètres à faire pour les rejoindre et tomber, à corps perdu, dans leur étreinte éternelle. Pour demeurer auprès de ceux qu'elle aime. Mais elle ne parvient pas à s'y résoudre. Car au-delà de l'amour, il y a aussi la haine. La haine de percevoir les idéaux opposés. La haine de voir la mort à leurs pieds. Est-il comme eux, le Mécaniste ? A-t-il déjà pris une vie, ou deux ? Chien a-t-il déjà planté ses crocs dans la chair humaine ? La nausée l'informe de son refus d'accepter l'idée. Pourtant la graine est bien plantée.
« Je te remercie. » lui dit-elle, lorsqu'il reparaît. Geist se réfugie en hauteur, lui qui ne tolère la présence du Mécaniste qu'avec difficulté. Méfiant, lorsqu'il s'agit d'un étranger. Car c'est ce qu'il est, maintenant. Un lointain inconnu. « Je suis désolée. » murmure-t-elle à Chien en s'appliquant à sa besogne. Le verre lui arrache un peu plus de peau. Et le sang macule ses mains froides. « Tu es venu pour t'assurer que je ne t'ai pas dénoncé, n'est-ce pas ? » Cela lui semble évident. Ce visage que personne ne soupçonne. Elle seule le connaît. Elle seule sait qui il est. Elle pourrait transplaner et crier son nom dans les couloirs du Siège. Elle pourrait remplir un dossier et le déclarer ennemi n°1. Elle pourrait tout révéler, maintenant. Parce qu'elle sait qui il est. Parce qu'elle sait qui ils sont, avec la Cardinale. Les informations sont pourtant bien restées scellées dans son antre. Aucune n'a franchi ses lèvres. Aucune n'a échappé au filtre. « Personne ne sait. » Elle se flagelle, un moment. Elle sait quelle trahison cela représente. Elle sait que cela mériterait punition. Punition grave, pour la Commandante des Odins. Elle qui a plusieurs troupes sous ses ordres. Elle qui, par un seul mot, pourrait envoyer ses sbires à ses trousses comme des prédateurs sur une proie. Elle y a pensé. Sérieusement. Mais tout son être lui a hurlé d'être muette. Et elle l'est restée. Avec ces fardeaux bien disposés sur les tripes. Bien lourds, ces secrets, sur son estomac. « Je suppose que cela ne change rien. Je serai toujours une menace pour toi et pour ta Cardinale. » Une ennemie des plus bienveillantes, pourtant. A croire qu'elle ne tient pas à sa vie. « Je... » Elle soupire. Ouvertement. Le visage se décompose. Les paupières sont closes. « Je n'ai pas pu. Même autrefois, lorsque j'ai découvert les véritables intentions de Anke. Elle ne te l'a pas dit, n'est-ce pas ? Que nous nous connaissons. Depuis des années. » Son regard cherche le sien. Elle sait comment elle fonctionne, Anke. Mais elle sait bien plus que ce que savent les autres. Elle l'a connue. Vraiment connue. Pas seulement la Cardinale, pas seulement l'élève. La personne. Et celle du Mécaniste. Et celle d'Hilda. Et celle de Maja. Là est l'ignominie. Parce qu'elle connait leurs essences, elle ne parvient pas à seulement les haïr. « Et pour ces années qu'elle m'a offertes, je n'ai pu la dénoncer... » Alors elle rit. D'elle-même. De sa faiblesse. Avant de panser la plaie de Chien. « Comme je n'ai pu te dénoncer, toi... »
Axel HirschfeldEinsicht
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Baguette : Un bout de bois peinturluré, totalement inutile.
L’oeil trop clair suit Geist qui se réfugie en hauteur, la main tend les bandages sans marquer de pause. Comme s’il n’y avait aucune cohérence entre la tête et le corps, entre l’esprit et la chair ; sans doute est-ce le cas. On ne peut vivre dans une enveloppe aussi malmenée sans apprendre à parfois se retirer dans des limbes où le monde physique n’existe plus que comme une vague éventualité. Axel a appris à ne plus être il y a bien longtemps, lorsqu’il était emprisonné dans un poumon d’acier qui respirait pour lui, les yeux rivés vers un ciel qui avait alors cessé de lui répondre. Les choses ont changé. Il n’est plus dans une prison magique destinée à le sauver. Plus entravé par la maladie, plus comme avant. Et pourtant il faudrait être bien naïf pour le penser libre. Le trouble regard du Mécaniste revient se poser sur Kora. Ainsi accroupie pour s’occuper de Chien, elle est plus petite que lui. Il la regarde d’en haut. C’est bien la première fois. La première fois qu’il prend la pleine mesure du pouvoir qu’elle a sur lui et de sa propre puissance. Elle pourrait le dénoncer. Elle pourrait le vendre à Heimdall et il serait alors attrapé, emprisonné, tué. Peut-être qu’on lui montrerait un peu de pitié, à cet amagique handicapé dont il est difficile de croire qu’il puisse réellement être une pièce maîtresse dans le jeu de la Cardinale. L’idée lui fait retrousser les lèvres, montrer les dents, grogner doucement. Il ne veut pas de pitié. Pas de celle d’Heimdall, encore moins celle de Kora. Il aurait presque préféré qu’elle lui dise l’avoir dénoncé. Au moins, ce serait normal. Compréhensible. On joue pour des équipes différentes, tu utilises ton avantage, c’est la règle. Mais elle assure ne rien en avoir fait. Que personne ne sait. Alors que lui a fait passer sa loyauté envers la Cardinale devant celle qu’il éprouve à l’encontre de Kora, cette dernière lui montre une fidélité qu’il sait ne pas avoir méritée. Elle aurait dû le dire. Elle aurait dû le dénoncer. Il lui en veut de ne pas l’avoir fait, il la hait d’avoir montré une fois de plus qu’elle vaut bien mieux que lui. Bien sûr qu’il se réjouit d’être en relative sécurité et de n’avoir rien à craindre de l’ancienne amie, il ne manque pas de tempérance au point de célébrer l’idée d’une potentielle capture, mais la gratitude n’est rien devant la colère.
Et puis elle parle d’Anke. Le Mécaniste s’efforce de rester de marbre. Aucune expression sur les traits qui pourtant rêvent de se plisser en un masque de théâtre antique, pas un son de cette gorge qui ne demande qu’à hurler. Il ne comprend pas, c’est entendu, tous ce que Kora ne dit pas. Quand bien même il l’aurait surprise en fâcheuse position avec la Cardinale, il ne comprendrait pas. Axel comprend pas ces choses-là. Ça lui est étranger, lointain. C’est comme un livre, une histoire : c’est de la fiction, ça existe mais seulement en théorie, dans la vraie vie c’est juste une fable. Une fadaise qu’on raconte aux enfants pour leur faire peur. Il comprend très bien, en revanche, qu’Anke l’a utilisé pour espionner une ancienne connaissance, quelqu’un dont elle n’ose plus s’approcher d’elle-même. Pas trop sûr de ce qu’il ressent à l’idée. De la colère, encore ? Mais il ne pourrait jamais être en colère contre la dame en noir, pas vrai ? Elle lui a tout donné. Non, c’est pas vrai, il n’a pas eu besoin d’elle pour construire son empire sur sa cour des miracles personnelle. Pas eu besoin d’elle pour devenir le Mécaniste. Mais sans elle, sans elle il aurait toujours pas de but, pas de grande mission, et il serait toujours prisonnier de son corps. Parce qu’avant il y avait bien pire que le handicap.
Chien geint pour la forme, parce qu’il trouve que l’attention n’est pas assez sur lui. C’est qu’il aime être la cible de tous les regards, ce vieux cabot au poil dru et terne, même s’il sait qu’on le regarde toujours avec pitié et jamais vraiment avec amour. Sauf Axel. Et Kora, peut-être ; il veut en tous cas y croire. Dans les gestes doux de l’amie des animaux il retrouve un peu de la tendresse qu’Axel lui porte en moins brute, moins amère – pas de beaucoup. Il sent confusément que son maître est malheureux, il sent sa colère, son amertume. Il aimerait faire quelque chose. Mordre la main de Kora. Il entame même le mouvement, ne se ravise qu’au dernier moment pour simplement la mordiller avec affection. Une fraction de seconde a suffi à Axel pour voir son geste et lui faire signe d’arrêter. Kora ne saura sans doute jamais qu’un instant d’inattention de la part du Mécaniste aurait pu lui valoir une vilaine blessure.
Il ne dit rien, Axel. N’a rien dit depuis près de vingt ans. Personne ne sait trop pourquoi, même pas lui, sans doute. De toute façon, les mots c’est pas grand-chose, les actions comptent beaucoup plus. Alors la carcasse difforme du jeune homme s’abaisse lentement jusqu’à être au niveau de Kora et les mains noueuses attrapent celles bien plus élégantes pour les serrer doucement. Sa façon de dire merci.
Kora SchäferHeimdall
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Baguette : Crin de Sombral, coeur témoin d'un aller-retour dans l'antre noir, Zébrano, zébrures en accord avec elle-même.
Elle aurait aimé, Kora, elle aurait profondément désiré pouvoir les délivrer à la justice. S'aurait été tellement plus simple ! Mais les fracas des monstres sont trop insidieux, et l'Humanité de Kora bien trop cacophonique pour s'en réchapper. Elle aimerait que Hilda n'aie jamais existé. Elle aimerait n'avoir jamais rencontré Maja. Elle aimerait qu'Anke n'aie toujours été qu'un fantôme lointain. Elle aimerait... ou peut-être pas. Là est toute l'ignominie de ses pensées, de son inconscient. Lui qui la trahit, lui qui la fourvoie. Lutte désespérée entre synapses et ventricules, battements infidèles des terribles parallèles. Acharnement continu dans l'âme, rouages qui s'enraillent et se rouillent. Elle aimerait se rebeller, trouver un subterfuge pour apaiser l'essence endiablée. Ou seulement ignorer la vivacité, là, sous la carcasse. Elle l'a déjà fait, pour Maja. Elle l'a emprisonnée, elle l'a livrée à la justice comme une petite poupée de chiffon décapitée. Surprise, que de constater les résultats de telle mise en oeuvre. Rien. Il n'y a rien. Seulement la colère, déjà là auparavant, et un rivage de regret au-delà de l'horizon. Et la marée ignoble se rapproche, à mesure que Kora pense au métal contre la peau d'Anke ou d'Axel. Les vagues du désespoir viennent l'engloutir, à chaque nouvelle image des charognes menottées. Elle sait, au fond, qu'elle se noiera dans les mêmes eaux que les âmes qu'elle chérit. Ennemis d'aujourd'hui, ensemble ensevelis. Elle pourrira aux côtés de la Dame Noire, embrochée sur ses épines, tapie entre ses venins. Comme la traîtresse qu'elle est. Traître à ses pairs, traître à son coeur. Traître à elle-même.
Chien gesticule une seconde, geint, sous sa main. Mais elle ne peut sembler plus douce encore, alors elle se contente de lui offrir un réconfort tactile, le long de l'échine. Elle sent son poil s'hérisser légèrement sous le contact, témoin des frissons qui l'enlacent au même moment. Elle lui offre un léger sourire. Elle est lasse, Kora. Chien le sent, c'est certain. Chien, comme tous les chiens, est capable de grande compréhension du sentiment humain. A croire qu'à force de côtoyer le bipède, il a réussi à développer de nouvelles méthodes de communication. Un nouveau langage, d'une certaine manière, qui lui offre bon nombre de capacités. Parmi elles, celle d'entrevoir les véritables émotions. Joie, tristesse, colère, peur, angoisse. Tel exploit devrait être récompensé par milles années de dévotion humaine. Et pourtant, les canidés n'ont rien obtenu de plus que quelques sourires fiers. L'orgueil, que d'accepter qu'un animal pourrait nous surpasser dans un domaine, même celui de l'évolution. « J'ai bientôt terminé, reste tranquille. » elle lui demande, d'une voix douce et calme. Puis Chien regarde son maître. En recherche de quelque chose, sans même un mot, sans même un bruit. Kora ne regarde pas le Mécaniste. Elle ne le fuit pas, non, elle se fuit elle-même. A trop le contempler, peut-être continuera-t-elle à lui ouvrir sa porte. Et si son palpitant accepte, son cerveau, lui, refuse. Mais il est auprès de Kora, lorsque celle-ci relève la tête. Il est tout près, à genou, et il s'approche encore. Jusqu'à prendre ses mains. Jusqu'au contact. Celui qu'elle redoutait. Et malgré tous les avertissements que son corps semble lui lancer, elle lève les yeux. Et plonge dans son regard.
Elle le comprend. Elle le ressent. Il lui transperce les veines, se balade dans les organes et s'installe dans l'épicarde. C'est ça, qu'elle redoutait. C'est ça, qui l'effrayait. Les frasques émotionnelles naviguent dans l'aorte. Passage forcé à la première oreillette, et elles peuvent commencer à faire leur nid. Une balle qu'elle ne parviendra plus à déloger. Une balle, ancrée avec toutes les autres. Et tous les visages qui lui tirent dessus, bien encrés au-dessus. Hydre qu'elle décapite, et toujours plus de têtes qui repoussent. Combat éternel dont elle ne triomphera jamais. Le squelette hurle, tandis qu'un autre poids vient lui briser l'atlas. « Tes remerciements sont inutiles. » elle ose lui répondre. Et même si les métacarpiens se serrent avec les siens, elle aimerait s'enfuir, bien trop loin. « Je vais mourir. » qu'elle crache. La panoplie s'effondre, et avec elle chaque relique se casse comme du verre. Les brides lui échappent, et les chevaux se cabrent. Les hennissements sont des cris assourdissants. « J'ai scellé mon destin le jour où j'ai rejoint Heimdall. » Son regard se perd dans les méandres de l'océan. Elle se noie dans les remous de son antre. Dans les parfums de ses démons. « Anke me tuera pour t'avoir ouvert ma porte. » Son cauchemar. Celui qui la hante, qui la poursuit comme une malédiction. Le sortilège de mort, dans le noir. Et le visage d'Anke, dans les ténèbres. « Elle me tuera pour lui avoir tourné le dos. » L'iode lui érode les rétines. Tandis que les chevaux blancs se serrent dans sa bouche. « Elle me tuera pour l'avoir trahie. » Traîtrise d'un autre temps, et pourtant pas si passé que cela. Ancienne amante désormais armée. « Elle me tuera pour l'avoir aimée. » Les perles aqueuses déversent un sanglot sur son âme. Kora se dégage. Se replie, dans son carcan. Cherche un échappatoire qu'elle a recherché toute sa vie. Elle se lève pour mieux trouver un tissu salvateur. Quelque chose pour dissimuler sa honte et sa peine. La blancheur lui macule les joues, efface les preuves. Mais celles-ci restent toujours gravées sous l'épiderme. Traces invisibles qu'elle est seule à pouvoir observer. « C'est cette affection qui provoque mon silence. L'affection que je vous porte à tous les deux. Celle que vous avez fait germer au gré des années et que je ne parviens pas à extraire de mes songes. Vous êtes ma maladie, mon fardeau, mon cancer. Anke viendra pour me punir, ou Heimdall le fera pour elle. Mais je crains que bientôt, je n'atteigne le fond de l'impasse. Et une fois de plus, en t'ayant ouvert ma porte, je me suis trahie moi-même. » Et tandis qu'elle arbore de nouveau un visage desséché, elle se met à sourire. « Parfois, je me demande pourquoi je suis encore en vie. Pourquoi Heimdall me laisse encore libre. Pourquoi Anke n'est pas revenue pour achever notre duel. Pourquoi, ni l'un ni l'autre, ne semblent véritablement enclin à venir achever ma quête illusoire. »
Axel HirschfeldEinsicht
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Baguette : Un bout de bois peinturluré, totalement inutile.
Axel ne sait pas quoi faire. Ne sait pas quoi dire, lui qui n’a rien dit depuis tant de temps. Qu’est-ce qu’on dit à une femme qui pleure ? Elle lui rappelle Maman. Mais elle est pas comme Maman. Maman elle pleurait et elle avait peur et elle avait raison parce qu’elle avait rien pour lutter, elle avait le corps et le coeur tout vides, mais Kora elle peut se battre contre les pires des démons. Elle l’a déjà fait. Il l’a déjà vue. Il peut pas comprendre qu’elle ait peur, ne veut pas le comprendre, surtout si sa peur se tourne vers lui. Il ne lui ferait jamais de mal. Ou bien si ? Est-ce qu’il est au fond comme tous les chiens, capable de mordre la main qui le nourrit et le soigne, simplement parce que l’instinct du prédateur ressort sous les années de conditionnement ? Simplement parce que parfois la souffrance est si grande qu’il faut la partager, d’une manière ou d’une autre ? Le Mécaniste se redresse, titube, maudit en silence la faiblesse de ce corps qu’il est forcé d’occuper. Un autre corps, plus grand, plus fort, et il aurait pu la prendre dans ses bras, lui dire que tout irait bien. Il aurait pu la protéger. S’il était un homme véritable et non une fichue mascarade – un chien plutôt qu’un dieu – s’il avait encore la sève de la jeunesse coulant dans ses veines et n’était pas encore un vieil arbre à demi mort tendant ses branches noueuses vers le ciel en une prière indicible – alors peut-être il pourrait quelque chose pour elle. Mais il ne peut pas. Ne peut rien. Simplement regarder et écouter. Chien vient se blottir contre ses jambes, pose sa tête sous sa main. Ils sont en symbiose, tous les deux. Chien et dieu. À savoir lequel est lequel.
Elle parle et elle parle de mort et il baisse les yeux pour rencontrer ceux du chien à ses côtés. Heimdall. Anke. Elle parle de ceux qu’elle a aimés et de ceux qui l’ont trahie. Axel se demande si elle dit tout ce qui est. Si ce qu’elle craint c’est vraiment juste ça, la dame en noir, les idiots, des choses au fond si mondaines et faciles. Il pourrait presque la mépriser d’être faible, d’avoir peur, de se recroqueviller dans un coin de sa détresse plutôt que de l’affronter. Si tu crains tant que ça qu’on te tue, frappe la première. Mord avant d’être mordue. C’est comme ça que ça marche, comme ça que ça a toujours marché. La meilleure des défenses est l’attaque et la vie l’a maintes fois prouvé au Mécaniste, à celui qui s’est battu contre la Mort elle-même plutôt que de se laisser avoir. Mais pourquoi Kora ne se bat pas ? Pourquoi elle se contente de parler, de poser des questions, de craindre ? C’est idiot, c’est presque sale. Elle vaut mieux que ça. Il fronce les sourcils, plisse la bouche. Anke. Pour l’avoir aimée. Quelque chose dans ces mots provoque une sensation désagréable au fond de son ventre. Comme un vieux rat qui vient gratter et ronger les entrailles pour y trouver une satiété depuis mille ans recherchée. Une brûlure dans les reins, la langue qui se dessèche. Kora et Anke. Il refuse de comprendre ce qu’elle dit. Une femme et une femme, c’est absurde, pas vrai ? Les femmes ne font pas ce genre de choses ensemble, c’est une femme et un homme, Maman l’a toujours dit. Elle doit avoir raison. Le Mécaniste n’imagine même pas que par le mot d’amour Kora puisse réellement évoquer un amour physique, romantique, bien loin de l’amitié qu’il se borne à évoquer. Mais même ça, même cette affection platonique, ça le dévore et ça le bouffe. Il imagine Anke tenir les mains de Kora comme il vient de le faire et il a l’impression que tout ce qui lui reste de dents va tomber tant il les serre fort. Qu’est-ce qu’elle sait ? Qu’est-ce qu’elles savent l’une de l’autre ? De quel profond mystère de l’amitié féminine est-il exclu, encore une fois, lui qui n’est qu’un monstre qu’on laisse en marge de sa réalité parce qu’il est bien trop effrayant et dégoûtant pour s’en approcher ? Il aimerait comprendre, il aimerait savoir, se faire petite mouche dans le passé et écouter les conversations des deux femmes qu’il aime, se glisser entre elles, s’installer confortablement entre les courbes et les rondeurs des deux seules créatures humaines à qui il sache encore porter quelque affection. Ce à quoi il songe n’est ni vraiment sexuel, ni simplement platonique ; les images qui se font et se défont dans son esprit tourmenté prennent des couleurs rougeâtres et roses et blanches comme les intérieurs des gens et il secoue la tête pour les chasser. Et puis il sourit.
Elles l’ont toutes les deux trahi. Il sait pas vraiment pourquoi ni comment mais il le sait, il le sent. Il n’aime pas ça. Personne n’aime ça. Pour l’instant, il range la pensée dans un coin de son esprit, se ramène de lui-même au moment présent et se gratte la tête avec une grimace peu élégante. Il a des poux, encore. C’est normal quand on vit dans un bidonville. On a souvent des poux et des puces. Chien se gratte aussi, comme pour faire miroir, et laisse échapper un grondement bas de plaisir. Dieu et chien. À savoir qui est qui.
Elle dit que lui et Anke et les autres sont sa maladie. Ça le fait rire, jaune. Il se désigne, désigne son corps malmené par le temps et la polio. C’est ça, une maladie, une vraie. Celle qui a fait de moi un monstre. Si elle le voit comme ça, elle devrait le chasser, le tuer, chercher à l’éradiquer. Ce serait de bonne guerre. Il la déteste pour ces mots, la déteste de l’avoir comparé sans le vouloir à ce qu’il hait le plus au monde. Maladie, putain de maladie qui déforme les membres et les esprits. Finalement, c’est normal, c’est ce qu’il est, ce qu’il a toujours été censé être. Maman le savait déjà à l’époque quand elle se lavait avec frénésie après qu’il l’a touchée. Et puis il montre un peu les dents, secoue la tête, glisse les doigts dans la corde qui entoure le coup de Chien. Comme pour dire qu’il va partir, la laisser en paix, la libérer du cancer. Sait pas trop ce qu’il espère – qu’elle le retienne, qu’elle demande pardon ? Ha ! Y a peu de chances, il en est bien conscient, et ça fait mal. Peut-être que c’est ça, l’amour. Cette douleur au creux de sa poitrine qui remonte dans sa gorge et dans ses yeux et qui lui fait monter les larmes et la nausée à la fois. Il a pas réfléchi à comment il repartirait. Lui qui d’ordinaire réfléchit à tout et a toujours dix coups d’avance sur tout le monde s’est laissé aller à une impulsion, s’est rendu chez Kora sans se préparer, sans se défendre, sans penser à comment rentrer. L’amour, ça fait mal aux pieds, au ventre, à la gorge. Il déteste.
Kora SchäferHeimdall
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Baguette : Crin de Sombral, coeur témoin d'un aller-retour dans l'antre noir, Zébrano, zébrures en accord avec elle-même.
Les paumes s'étalent sur la commode, cherchent un contact rapproché avec toute matière possible. Elles ne daignent plus bouger ensuite. Elle ne bouge plus du tout, finalement. Une dernière larme vient s'engouffrer entre ses lèvres, ne laissant dans sa bouche qu'un goût de colère. Elle souhaiterait savoir bercer toutes les émotions qui l'animent, les tarir au fond du gouffre noir qu'est son âme. Mais elle ne parvient qu'à serrer les dents. Elle n'est rien, dans ce navire qu'est son univers. Qu'un canon plein d'eau, qui ne tirera jamais son boulet. Elle est terrorisée de savoir qu'elle ne reste de marbre, qu'elle regarde les choses s'animer autour d'elle sans vraiment y prendre part. Elle se sent coincée. Noyée. La foudre qui claque, dehors, n'est que la répétition incertaine qui frôle son carcan. Kora est immobile dans les ténèbres, et la gravité semble la clouer à l'obscur. Elle secoue la charogne en vain. Elle est incapable de tirer sur l'un, de tirer sur l'autre. L'arme qui lui transperce le myocarde. Aucun assaillant, si ce n'est elle-même. « Tout ça est d'un pathétique. » Elle se met à rire. Un rire plutôt franc, plutôt vrai. Un rire encore plein de larmes, si bien qu'elle hoquette un sanglot décharné. Elle se rit de ce qu'elle est. Elle se rit de ce qu'elle se destine. Bien sûr qu'elle mourra. Elle ne fait rien contre ça. Elle laisse le voile venir vers elle, la faux, lui trancher la tête. Certains soirs, elle se demande encore pourquoi elle ne bronche pas. Serait-ce le destin le plus acceptable à ses yeux ? Serait-ce la punition qu'elle attend ? Peut-être. Peut-être pas. En fait, elle ne sait pas. « En réalité, personne ne me tuera, si ce n'est moi-même. » Le rire s'intensifie entre les côtes, secoue les gravas qui lui servent d'organes. L'ocytocine lui scarifie les veines. Elle s'étouffe avec ses gargouillis ensanglantés. « Nous sommes en guerre. » C'est une réalité. Une réalité qui l'achève d'un coup sec derrière la nuque. Les secousses s'estompent au même rythme que les rires. Et elle essuie d'un revers de main son visage démantelé. Elle contemple, un moment, le paysage qui s'effondre dehors. Reflet de son âme aujourd'hui effacée sous les glaces. Ce n'est qu'une guerre sous-entendue, implicite, une guerre froide comme les neiges hivernales qui s'écoulent dehors. Une guerre qui aura bientôt fait d'éradiquer leurs âmes à tous. Mais cette guerre, Kora ne la fait pas vraiment. Elle observe, elle essaie, elle contemple, elle progresse. Mais jamais assez. Comme durant cette Grande Guerre qui lui martela l'échine, cette Grande Guerre où l'Humanité n'avait plus raison d'être. Et encore, ici, maintenant, alors qu'elle préfère laisser son palpitant mener sa vie, elle constate que la majorité a oublié que l'affection était plus importante que l'apogée d'une idée ou d'une autre. Sage, qu'elle est, peut-être. Utopiste, plutôt. A espérer que la guerre n'effacerait pas le sentiment humain. A croire qu'elle ne volerait pas l'âme de chaque Homme. Mais trop aveugle, Kora, peut-être, pour avouer que les doctrines ont pris d'assaut l'essence de tout bipède qui marche autour d'elle. « Même si personne n'aime décrire les événements récents par ce mot. C'est bel et bien ce que nous vivons tous. Une Guerre. Ce qui me chagrine le plus, c'est bel et bien l'idée que nous n'arpentons pas la même tranchée. »
Elle se retourne, lorsqu'elle sent l'agitation derrière elle. La honte teinte un départ précipité. Ou est-ce le malaise qu'elle provoque, elle et ses larmes idiotes ? Peu lui importe, finalement. Une fois de plus, elle regarde mais ne fait rien. Elle pourrait le faire tomber à ses pieds d'un seul sortilège, le mener à Heimdall et asséner un coup de maître à l'Einsicht. Peut-être relancer les dés qui arbitrent le duel des organisations. Peut-être ébranler l'ennemi et redorer l'ami. Ou est-ce l'inverse, qu'elle souhaite ? Pourtant, Kora ne fait rien. Comme toujours, comme jamais. Elle se contente d'assimiler les informations, sans jamais en créer de nouveaux. Elle pense à ce que deviendrait Axel dans la geôle voisine de Maja. Ils pourriraient ensemble, avec le nom de Kora sur les lèvres, toujours plus insidieux dans la tête. Mais elle ne veut plus ça. Elle ne veut pas ça pour lui, en tout cas. Etrangement, elle estime qu'il ne le mérite pas. Il n'a pas l'air d'avoir vraiment fait de mauvaises choses. Ou peut-être qu'elle est simplement naïve. Peut-être qu'elle préfère être aveugle. « Tu peux rester, si tu le souhaites. Le dîner sera prêt dans peu de temps. Et le froid risque de raviver la douleur de Chien. » Prétexte ? Bien entendu. Tout n'est que prétexte, ici. Mais au-delà de ces charmantes parades, Kora a envie qu'il reste. Lui qu'elle a tant aimé avoir à ses côtés. Lui qui a partagé son passé. Lui qu'elle estime tant, et qu'elle ne redoute pas vraiment. Alors elle lui désigne le fauteuil où il avait l'habitude de s'asseoir, là, tout près du feu, au plus proche du crépitant. « Allez, assieds-toi. » Elle jette un coup d'oeil au panier que Chien occupait, là, près du feu, aussi. Il est toujours là. Il n'a pas bougé. Elle se demande si elle n'a pas eu le temps, ou pas eu le coeur de l'enlever. Elle préfère se dire que c'est un peu de l'un et un peu de l'autre. Happy s'étire et se couche dedans. « Il a pris l'habitude de s'y coucher. » Inutile de justifier la chose. Kora sait que le Mécaniste comprend. Alors elle se dirige vers la cuisine. Disparaît pour mieux respirer.
Axel HirschfeldEinsicht
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Baguette : Un bout de bois peinturluré, totalement inutile.
Pathétique, c’est un mot qu’Axel n’aime pas beaucoup. Il l’a entendu murmuré plusieurs fois quand les guérisseurs étaient à son chevet, il a entendu Maman le lâcher dans un moment de colère. Pathétique, en général, ça veut dire lui. Pathétique avec tes jambes toutes tordues et ta mine de chien battu. Jamais assez monstrueux, toujours trop. Alors quand Kora, elle dit ce mot-là, ça serre le cœur et ça donne envie de mordre. Mordre la main même qui le nourrit encore quand il en a perdu le mérite, le droit, l’honneur. Mais elle pleure et il ne sait pas trop comment réagir à une femme qui pleure. C’est vrai qu’elle se met en danger à l’aider, l’accueillir toujours après avoir découvert son petit secret, c’est vrai qu’elle risque beaucoup plus que lui. Il reste droit, pourtant, le silence muré dans le cœur, et ne cherche pas à la contredire. C’est le choix qu’elle fait, elle a encore la liberté et le pouvoir de choisir, elle n’a pas le droit de se plaindre. Trop dur pour compatir, trop féroce pour apprécier, trop brisé pour comprendre ; Axel ne cherche pas à forger une réaction qui sonnerait de toute façon faux. Il finit par hausser les épaules. La guerre, la guerre ne change jamais. Ses doigts noueux trouvent la fourrure rêche de Chien et y dessinent les promesses de massacres à venir. Il ne fait plus confiance à la paix pour venir à bout des démons. Elle le sait aussi bien que lui. C’est juste que leurs démons sont si différents, et parfois Axel se demande si c’est lui qui a tort, s’il devrait écouter plus ce qu’elle dit, mais il ne peut pas accepter et comprendre ce qu’elle dit. Pourquoi s’acharne-t-elle à maintenir le status quo ? Pourquoi se bat-elle contre l’évidence de l’évolution du monde ? Il ne veut pas comprendre. Il ne veut pas voir. Elle non plus, d’ailleurs, elle veut rien voir de ce qu’il pense, et peut-être que c’est l’aveuglement mutuel qui les sauve. À fermer les yeux sur les différences on peut enfin entrevoir les similarités.
Il sait pas trop s’il s’attendait à ce qu’elle le retienne. Un peu, sans doute ? En vertu de tout ce qui les a réunis autrefois. Il espérait, en tous cas, pas qu’il l’avouerait de toute façon – il n’en a pas besoin, c’est le genre de chose qui se voit dans son regard, dans la façon dont ses épaules se détendent, dans sa main qui lâche le collier de corde de Chien. Elle a raison. Le froid raviverait la douleur. C’est ce qu’il fait, ce foutu froid, il ravive toutes les douleurs, il vient mordre à l’intérieur de l’âme et réveiller de vieilles blessures enfouies. Celle de Chien. Rien qu’une écharde dans la patte, rien qu’un petit filet de sang qui le suit à chaque pas. C’est presque innocent. Presque rien. Et puis le froid tombe et gèle les vaisseaux et forme des cristaux dans les veines, stalactites de rage qui ne fondront plus jamais. Chien s’échappe de la prise de son maître et trottine jusqu’à son coussin, comme si rien ne s’était passé, comme si l’épine n’était plus qu’un lointain souvenir. Pas l’air trop content d’y trouver un Fléreur à sa place. Il penche la tête de côté, interloqué, laisse échapper un son étrange entre le grondement et le gémissement, puis essaye de se faire une place à côté de Happy. Si ça implique de mettre son derrière râpé et puant sur le nez de l’autre bestiole, ça ne le dérange pas beaucoup. Chien reste un chien. Il ponctue sa tentative d’un long lâcher de gaz nauséabond qui trahit sa joie. Axel fronce à peine le nez.
Son fauteuil n’a pas bougé, lui non plus. Il y retrouve même les taches que sa maladresse y a laissées. Le tissu est de bonne qualité, fin, différent de tous ceux dont il a l’habitude. Il déteste. Il s’assied et ses ongles viennent gratter le grain du tissu comme pour l’abîmer, le râper une bonne fois pour toutes. Kora est partie. La cuisine, sans doute, elle a parlé de manger. Ce serait le moment idéal pour fouiller, mettre son nez dans ce qui ne le regarde pas, et pourtant il ne le fait pas. Par respect. Non. L’idée même le fait sourire, ce sourire grinçant qui a terrifié tant d’autres dans son enfance. Il ne respecte pas. Il n’aime pas. L’amour, ça fait mal au ventre. Le respect, c’est bon pour ceux qui sont vivants. Lui, ça fait longtemps qu’il l’est plus, il a laissé son âme et sa vie dans le poumon d’acier qui lui a permis de rester debout un peu plus. De respirer quand tout le monde avait juré qu’il ne reviendrait jamais. Il se dit qu’il ne bouge pas parce qu’il est fatigué, qu’il a mal, que ça n’a rien à voir avec de l’affection ou de l’estime, que c’est juste un calcul, une bonne stratégie, parce qu’elle va revenir et qu’il ne sait pas quand et qu’elle aura un repas chaud et il a faim de toute façon et peut-être même qu’elle pourra nourrir Chien et qu’ils iront tous les deux juste un peu mieux juste assez pour continuer la route un peu plus – pas d’amour, pas de respect. Il n’irait pas contredire les ordres de la dame en noir, la défier, pour elle, pour Kora. Il pense aux deux femmes, à leurs mains entremêlées, et la nausée le saisit à nouveau.